Login

VU AU CANADA Au Québec, près de 50 % des services agronomiques sont privés

Au Québec, les exploitations, de plus en plus étendues, sont en demande de liberté pour leur gestion agronomique.

Ou comment une loi gouvernementale a imposé la création d’un conseil agronomique privé, devenu incontournable pour les agriculteurs québécois. Immersion dans les pratiques du leader du secteur, le groupe PleineTerre.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

« Le service des conseils aux agriculteurs a connu sa révolution à la fin des années 1990 avec la mise en place de subventions importantes par l’État pour aider à la création des Plans agroenvironnementaux de fertilisation, les PAEF, qui nécessitaient pour leur approbation la signature d’un agronome indépendant », relate Mario Vincent, l’un des pionniers du service privé québécois. Dans une province canadienne fortement marquée par les productions animales, porcines, bovines, avicoles, la gestion des niveaux de phosphore dans les sols était devenue cruciale. Pour lutter contre le phénomène d’excès de phosphore, l’État a décidé d’établir une aide forfaitaire de 30 heures par ferme de conseils agronomiques, subventionnée par l’État, la province et l’agriculteur, à chacun pour un tiers. Si le quota d’heures n’était pas suffisant pour inverser la tendance, il y avait un surplus de 90 €/h, entièrement à la charge du paysan.

Mario Vincent, l'un des pionniers du service privé québécois, est persuadé que le conseil privé va poursuivre sa progression. (© C. DEQUIDT)

Les clubs environnement

C’est l’Union des producteurs agricoles, UPA, unique syndicat agricole de la province, qui a été missionné par le gouvernement pour la bonne application. « Il s’agissait de créer des clubs environnement, au sein d’une cellule locale syndicale, gérée politiquement par un conseil d’administration d’agriculteurs d’au moins deux producteurs avec les services d’un agronome salarié. » Ces structures se sont multipliées dans toute la province, grande comme trois fois la France, et forte de 200 000 agriculteurs à l’époque. Les clubs ne se faisaient pas concurrence et avaient une bienveillance d’implantation par zone. Mario Vincent a dépensé beaucoup d’énergie au sein de l’un d’entre eux.

« Payé par l’UPA, j’ai démissionné au bout de trois ans comme beaucoup de mes collègues car le rapport temps/salaire n’était pas au rendez-vous. » Pour autant, il ne renonce pas au métier car la demande est très forte et le gouvernement ouvre la possibilité aux entreprises privées de conseil d’être un vecteur de subventions. Il crée Agrinove, la première société du genre, type Ceta. Rapidement, le vivier d’agriculteurs monte à 500 dans un rayon de 150 km, soit plus de 50 000 ha. Il embauche 10 techniciens. « Pour que les agriculteurs puissent bénéficier des subventions, les conseillers doivent être agréés par l’ordre des agronomes » (lire ci-dessous). Après un peu de résistance, l’UPA a renoncé définitivement à la vente de conseils pour revenir à sa mission première, la défense de la profession.

Une cotisation annuelle

« PleineTerre est une entreprise privée à but lucratif qui est vraiment la continuité des clubs environnement d’origine », précise Éric Thibault, DG du groupe PleineTerre, leader du secteur au Québec qui a racheté, entre autres, Agrinove à la retraite de Mario Vincent. « Chaque agriculteur verse une cotisation annuelle. Une refacturation globale est faite en fin d’année et nous leur remboursons l’éventuel surplus après subventions, sinon nous facturons les heures supplémentaires non incluses dans le deal avec l’État à 100 $ canadien de l’heure, avec un tarif dégressif suivant la taille de l’exploitation. »

Les services ont considérablement évolué puisque, au départ, il ne s’agissait que de répondre aux dangers du phosphore. « Maintenant, c’est à la carte, cela va d’une simple prestation de réalisation des documents administratifs jusqu’à l’élaboration avec nos clients de leur stratégie de développement et d’investissement. » Les services de conseils privés représentent entre 40 et 50 % de part de marché dans la province. « Je pense que cela va se développer, notamment avec la mise en place de règlementations de plus en plus contraignantes que nous promet le gouvernement. »

S’en tenir à la dose préconisée

Les distributeurs, coopératives comme négoces, ont suivi de près ce mouvement, frustrés car ils ne pouvaient pas faire bénéficier leurs clients ou adhérents des subventions d’État. « Ils sont entrés en lutte directe contre nous lorsque le gouvernement, en 2010, a acheté des pages entières de publicité, dans un journal agricole incontournable, vantant les PAEF et son implication dans l’agroenvironnement. Au bout de trois publications, elles ont dû être stoppées par le lobby des distributeurs », sourit Mario Vincent. « Nous sommes jaloux des Européens qui ont réussi à séparer le prix du conseil de celui du produit. C’est de mon point de vue une excellente idée pour bâtir une politique agricole environnementale efficiente. »

Pour ses conseils agronomiques, Bruno Giard, polyculteur-éleveur, utilise les conseillers privés et s'approvisionne chez William Houde. Il est prêt à payer deux fois le prix du service. (© C. DEQUIDT)

Au Canada, il est interdit pour un conseiller de remettre en cause la dose préconisée par le fabricant, inscrite sur l’étiquette du produit. « Si un agriculteur le fait, il doit affirmer par écrit sur l’honneur qu’il a pleinement conscience du risque de non-efficacité de son application et l’assumera. Autant dire que 90 % des agriculteurs font une confiance aveugle à leur distributeur. » Ce n’est pas le cas de Bruno Giard, polyculteur-éleveur à Saint-Simon, qui produit 1,5 million de litres de lait, et exploite une surface de 650 hectares. « J’ai d’excellentes relations de confiance avec William Houde, mon distributeur, mais j’utilise les services privés pour mes conseils, car ils me permettent non seulement de toucher les subventions mais aussi de baisser les doses imposées par mon distributeur. Je paye deux fois le service mais mes calculs me prouvent qu’au final je suis gagnant. »

Comme tous les distributeurs québecois, William Houde, filiale du groupe Roullier, a fortement réagi au développement des conseillers privés aidés par l'Etat. (© C. DEQUIDT)

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement